Les questionnaires et les entretiens sont une part très importante de l'enquête, puisqu'il permettent d'obtenir des informations que l'on ne trouve pas ailleurs actuellement en France, ou seulement de façon partielle. Cela pour la simple raison qu'il n'y a pas eu de recherche ou d'enquête d'envergure sur le sujet. Certaines associations lancent des enquêtes pour pallier ce manque, notamment au sujet de la santé. Les sciences humaines commencent tout juste à s'intéresser aux questions trans', à l'exception de la psychanalyse - et la psychiatrie, qu'on peut considérer en partie comme une science humaine bien qu'elle fasse partie de la médecine. La grande majorité des travaux sur la question sont le fait de ces deux disciplines. Cependant il est délicat de les utiliser comme sources d'information sur les trans' - je reviendrai une autre fois sur ce point.
Les questionnaires permettent de recueillir essentiellement des informations factuelles et précises (à propos des transitions par exemple, de la situation familiale des personnes, etc.). Mais cela ne saurait suffire pour mon sujet : un questionnaire est nécessairement partiel et partial, d'abord parce qu'un choix est fait à propos des questions posées (pour des raisons de temps et de « ciblage » de l'information), ensuite parce que les personnes sont amenées à répondre selon le cadre imposé par le questionnaire ( certaines questions, qui seront significatives pour certaines personnes, ne le seront pas pour d'autres, par exemple). Il m'a donc semblé important de réaliser des entretiens en parallèle des questionnaires. J'ai choisi d'utiliser la méthode de l'entretien non-directif, qui consiste à laisser la personne s'exprimer le plus librement possible, et non selon un déroulement imposé. Le plus souvent, les gens s'attendent à ce que je leur soumette une liste de questions, comme dans une interview ou un questionnaire, et sont parfois déstabilisés de constater que ce n'est pas le cas ! En réalité l'entretien prend la forme d'une discussion dans laquelle c'est la personne « enquêtée » qui choisit l'angle sous lequel elle souhaite aborder les choses, en fonction de qui elle est, de son vécu, de ce qui a du sens pour elle au moment de l'entretien. Ainsi les entretiens sont tous différents les uns des autres. Une personne va beaucoup parler des relations avec sa famille, par exemple, parce que c'est cela qui est significatif pour elle, pour diverses raisons. Une autre, au contraire, en parlera peu, voire pas du tout, et orientera la discussion sur son engagement militant, ou sur son parcours de transition, ou sur autre chose encore.
Bien sûr, on peut me rétorquer à juste titre que malgré cela un entretien n'est jamais totalement « non-directif », ou « non-orienté », ne serait-ce que par la relation que j'instaure avec la personne, les relances et les interventions que je fais au cours de la discussion. Tout cela est à prendre en compte dans mon analyse des entretiens. L'idée de « non-directivité » constitue donc plutôt un horizon dont il s'agit de s'approcher le plus possible.
L'idée principale qui sous-tend le choix de cette méthode est la volonté de limiter au maximum l'influence éventuelle de mon propre cadre de référence sur les entretiens. Il s'agit de ne pas parler à la place de, ou sur, mais de laisser parler et de relayer cette parole. Les personnes trans', comme beaucoup d'autres catégories de population minoritaires, discriminées ou stigmatisées, sont très souvent parlées (par d'autres, qui détiennent une légitimité dans l'espace public et scientifique et s'arrogent une expertise sur le sujet), et ont beaucoup moins souvent l'occasion de parler elles-mêmes – et lorsqu'elles le peuvent, leur discours est rarement entendu et pris au sérieux. En tant que sociologue il est important pour moi de tenter d'éviter cet écueil, d'autant plus que je ne suis pas trans' moi-même. Et quand bien même je le serais, mon expérience personnelle ne saurait avoir valeur d'expertise.
En ce qui concerne les détails plus concrets :
les entretiens sont enregistrés avec un magnéto, pour que je puisse ensuite les retranscrire. Cela m'évite d'avoir à prendre des notes pendant l'entretien (et de toute façon il serait impossible de tout noter !) et d'être entièrement disponible dans la discussion. Ces enregistrements sont « privés », au sens où personne d'autre que moi ne les écoutera.
Les retranscriptions sont anonymes : vos noms et prénoms ainsi que tous ceux que vous pourrez éventuellement citer, de même que les lieux, sont changés, afin que l'on ne puisse pas vous reconnaître dans les citations qui seront incluses dans la thèse. Je suis donc la seule personne à savoir qui vous êtes.
La plupart du temps, les entretiens ont lieu au domicile de la personne, ce qui évite que vous ayez à vous déplacer. Toutefois il arrive que cela ne soit pas possible pour diverses raisons, ou que la personne ne le souhaite pas, et dans ce cas l'entretien a lieu dans un café, plus rarement chez moi.
Certaines personnes souhaitent parfois me rencontrer une première fois avant l'entretien, pour faire connaissance. Cela ne me pose aucun problème, donc n'hésitez pas à me le demander (je précise que ce n'est possible que pour les personnes habitant Paris et la région parisienne, car je ne peux me permettre des déplacements multiples).
J'espère avoir répondu à la plupart des interrogations ! Si vous avez d'autres questions, n'hésitez pas.